Comme l’ont fait au fil du temps des centaines de personnes, il y a quelques années Madame Christine REY-CAILLAT, enseignante à la retraite, m’a contacté via ce blog pour me faire part d’une partie de son vécu professionnel.
Nous avons échangé par mél, et au téléphone.
D’emblée il m’est apparu deux choses. D’une part que cette collègue avait subi de notre administration des violences d’une gravité conséquente, et d’autre part que nous n’étions probablement pas d’accord sur tout, sur des plans que l’on pourrait qualifier de « politiques ».
Ce second point n’a en rien influé sur mon écoute et mon attitude, et c’est l’occasion de rappeler ici un principe à mes yeux intangible : les maltraitances envers les salariés de l’Education nationale sont trop graves pour ne pas passer au-dessus des antagonismes d’idées.
Quelles que soient les opinions de mon interlocuteur, et quelle que soit son appartenance syndicale ou autre, il me semble qu’il est de mon devoir de l’aider dès lors qu’on me le demande et qu’il m’est possible de le faire. C’est bien sûr ce que je fais, du mieux que je peux. Auprès de cette collègue, comme auprès d’autres salariés. Toujours, j’ai appliqué et affirmé ce principe : ces questions sont trop importantes, trop lourdes, trop destructrices pour ne pas dépasser et transcender tous les clivages. Le sectarisme et l’humanisme sont incompatibles.
Du reste, plus d’une fois – et c’est heureux ! – j’ai moi aussi été écouté, conseillé, aidé par des personnes d’un autre bord politique que le mien. Par exemple, un des collègues à m’avoir apporté une assistance précieuse au début des années 2010 a été Monsieur Daniel ARNAUD, avec qui j’ai pris contact dès la parution de son ouvrage de référence au mois de mai 2013. Ce collègue n’a pas hésité à m’aider, malgré nos divergences d’opinions.
Et j’ai plus d’une fois constaté que les collègues les plus efficaces dans la défense de tel ou tel dossier pouvaient se situer ailleurs que moi sur l’échiquier politique, ou être affilié à un syndicat « concurrent » – tout cela coule de source pour qui n’est pas engoncé dans une idéologie hors-sol et fermée sur elle-même.
A contrario, plusieurs dirigeants syndicaux d’une structure à laquelle j’aurais naïvement pu faire confiance dans ma jeunesse si je m’étais tourné sans plus y réfléchir vers ce syndicat hégémonique du second degré, plusieurs de ces dirigeants donc, se sont montrés d’une fourberie, d’une traîtrise et d’une brutalité sans nom à l’encontre de collègues de leur propre syndicat, dès lors qu’on avait mis le doigt sur l’une ou l’autre de leurs collusions, de leurs compromissions, et de leurs corruptions les plus crasseuses. On n’est jamais trahis que par ceux qu’on croit être des siens. Et le degré de corruption (1) et d’improbité au sommet de certaines organisations syndicales dépasse tout, tout, tout, ce qu’on peut imaginer. Qui dit « silence du #PasdeVague » et « loi du silence » dit « Omerta » – et qui dit « Omerta » dit « dérives mafieuses », comme l’expliquent et le démontrent les bons connaisseurs de ces mécanismes. (2)
Protéger et couvrir l’ami du copain d’un copain qui a commis des agressions sexuelles dans le cadre de son travail, ce n’est pas quelque chose que je pourrais faire, pour ma part. D’autres, carriéristes et ambitieux, n’ont jamais hésité, que ce soit avant ou après #metoo. (3)
Quant – autre forme de « corruption » – au détournement local d’argent public, certaines et certains savent y faire, et s’organisent très bien en ce sens, de manière à jamais ne être inquiétés.
Mais n’en disons pas davantage ici. Silence. #PasdeVague… (4)
Il y a quelques années Madame Christine REY-CAILLAT m’a contacté via ce blog, donc.
Et ce qu’elle m’a confié avoir vécu, en tant qu’enseignante, relevait davantage de la barbarie que de la bienveillance.
La situation dans laquelle plusieurs fonctionnaires de l’institution scolaire l’avait plongée était à la fois insoutenable et banale.
Insoutenable mais passée sous le tabou du #PasdeVague.
Banale parce qu’extrêmement courante, contrairement à ce qu’ont se sont acharnés à faire croire pendant des décennies de nombreux responsables syndicaux (5), jusqu’à ce que leurs mensonges et leur double-jeu commencent d’être éventés, à partir d’octobre 2018. (6)
Aujourd’hui, c’est tout naturellement que je mentionne sur ce micro-blog, la récente parution du livre que Madame REY CAILLAT a écrit, sous le pseudonyme de Lucie DENNER : « Une Année particulière ».
Le sous-titre est éloquent : « Comment l’Education nationale a failli me tuer ».
L’auteur de ce livre est une miraculée. La maltraitance institutionnelle, ce n’est pas qu’une formule éthérée.
Le récit est court – moins de 50 pages – mais implacable : ce témoignage est truffé d’anecdotes édifiantes sur les violences de certains élèves, les dérives kafkaïennes de notre administration, les brutalités de petits chefs locaux, l’incurie de quelques hauts fonctionnaires, la duplicité de certains pseudo-syndicalistes qui se révèle très vite dès qu’on les place au pied du mur, etc. En cela cet ouvrage mérite d’être diffusé, connu, et lu le plus largement possible, aussi bien par les acteurs de l’institution scolaire que par tout un chacun.
On peut s’en réjouir, à défaut de s’en contenter : globalement, la parole circule de manière moins contrainte qu’il y a encore un an ou deux… même s’il faut souvent attendre d’être à la retraite ou en dehors de l’Education nationale pour pouvoir desserrer les poings, les dents, et les lèvres. Pour pouvoir dire les choses, tout simplement.
Coucher sur le papier de tels traumatismes peut avoir des vertus thérapeutiques, et d’apaisement.
C’est une profonde source de satisfaction de constater qu’après la publication de son récit, Madame Christine REY-CAILLAT peut enfin, pas-à-pas, retrouver la sérénité qu’elle n’aurait jamais perdue si le respect de l’humain, le bon sens et la loyauté (7) avaient toute leur place, dans l’institution scolaire. Qu’on en juge :
« Avec le temps, ma colère s’est progressivement transformée en une sorte d’indifférence teintée de mépris envers les personnes que le pouvoir, quelle qu’en soit l’importance, a rendu pleines de morgue, parfois cyniques et lâches. » (8)
« J’ai fini par me dire que si les services publics sont essentiels dans la mesure où ils reposent sur des idéaux d’humanisme et d’égalité s’appliquant à tous les citoyens, je regrette simplement que l’Éducation nationale soit si mal servie par quelques personnes que le statut autorise à commettre parfois des actes entraînant de graves conséquences sur le plan humain ou à les couvrir, sans que jamais ces fautes ne soient reconnues et encore moins réparées. » (9)
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« […] les écrivains, musiciens, réalisateurs et autres artistes que j’aime possèdent la grâce et le talent qui leur confèrent le pouvoir inouï d’enchanter ma vie.
Je me perds dans la douce nostalgie des romans de Patrick Modiano. J’écoute la musique élégante et hypnotique de Massive Attack. Je tremble d’émotion devant la beauté tragique des films de Marco Bellochio.
Ces instants me rendent heureuse, comme le spectacle de l’océan aux couleurs toujours changeantes que je contemple inlassablement depuis ma nouvelle vie. » (10)
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Pierre-André DIONNET
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(1) Comment la corruption peut-elle se manifester dans l’Education nationale ?
Lire ici quelques pistes :
(2) Voir par exemple le chapitre « Dérives mafieuses », pages 113 sq. de l’excellent ouvrage de référence Le Harcèlement moral dans l’Enseignement, de Daniel ARNAUD
(3) Ci-dessous un exemple parmi des milliers, en France :
(4) et (6) D’où vient le hashtag #PasdeVague ?, article du Point, 22 octobre 2018 :
D’où vient le hashtag #PasdeVague ? (lepoint.fr)
(5) « Responsables » ? Oui, et cent fois « coupables » !
Le terme « irresponsables » conviendrait mieux pour désigner certains délégués syndicaux. Dans le Pas-de-Calais comme ailleurs.
(7) Il faudra un jour revenir également sur le sens donné trop souvent à ce terme de « loyauté », au sein des services juridiques de certains rectorats. On verra alors pourquoi et comment, de la même manière que la « fausse bienveillance » est source de profondes maltraitances, la « loyauté » peut figurer comme relevant de la plus pure « déloyauté » (pour ne pas dire pis) de l’institution scolaire vis-à-vis des meilleurs enseignants de ce pays.
(8) « Une Année particulière / Comment l’Education nationale a failli me tuer » par Lucie DENNER alias Christine REY CAILLAT, page 48.
(9) Op. cit., page 47
(10) Op. cit., page 49