Des médias aveugles et silencieux ? (7) Laëtitia MONSACRE et Jim le Pariser osent briser l’Omerta sur le mobbing dans l’Education nationale.

Elle a osé. Briser l’Omerta sur le mobbing dans l’Education nationale. Fissurer la loi du silence, du moins.

En 2019 la journaliste Laëtitia MONSACRE m’a donné carte blanche pour publier dans le média Jim le Pariser un article sur l’enfer du décor de l’Education nationale. J’aurais aimé évoquer l’Omerta pesant sur les violences sexuelles infligées en toute impunité, ici et là, à de jeunes enseignantes vacataires, livrées à la merci et à la libido détraquée de supérieurs hiérarchiques abusant de leur autorité. Ainsi que les mécanismes précis par lesquels leurs agresseurs bénéficient, encore en 2020, d’une très efficace « culture de la complicité à vaste échelle » (pour reprendre l’expression forgée par les médias américains analysant à froid l’affaire Harvey WEINSTEIN et la naissance du mouvement #metoo).

Parmi les rares observateurs des violences faites au personnel de l’Education nationale, étant le premier à avoir travaillé sur ce sujet tabou, j’avais déjà abondamment abordé ce thème, aussi bien dans des courriers d’alerte internes à l’institution scolaire, que publiquement, sur ce blog. Préférant laisser aux hauts fonctionnaires de l’Education nationale et à chaque maillon de la chaîne hiérarchique la possibilité de prendre le temps, et la responsabilité, d’agir ou de continuer à fermer les yeux sur ces fléaux dénoncés par les mouvements #metoo et #moiaussi, j’ai opté pour un thème encore moins « connu » du citoyen lambda, un thème encore moins présent à la conscience collective, un thème encore plus étouffé, mais tout aussi dévastateur. Dévastateur en termes de traumas pour les victimes, comme en termes d’éthique, pour l’institution scolaire et pour la société.

C’est donc du mobbing dont j’ai souhaité parler. Et plus précisément d’une des dizaines de techniques de mobbing employées en toute décontraction depuis des années par des chefs d’établissements scolaires, en France.

L’article s’intitulait initialement « L’ultra-violence du mobbing, juste avant les vacances scolaires ». Laëtitia MONSACRE lui a préféré un titre plus générique et plus frappant : « L’Education nationale m’a tuer ».

Une précision : ce texte est un texte de pure fiction. Mais il a été écrit à partir de cas concrets, bien réels, et sourcés. Les dates, les lieux, les circonstances, les noms des victimes, les noms des bourreaux… Les louanges officielles, les honneurs, les décorations, les promotions, les primes financières et autres avancées de carrière obtenues par ces bourreaux. Tout cela est parfaitement connu des rectorats et du ministère de l’Education nationale. Et parfois, de la Justice. Les magistrats regardent ailleurs, alors que comme pour le cas Gabriel MATZNEFF, « tout est caché » mais « rien n’est caché », loin de là.

Merci à Laëtitia MONSACRE et au média Jim le Pariser d’avoir permis la publication de ce texte.

Pierre-André DIONNET

Ci-dessous : lien vers l’article de Jim le Pariser, 3 décembre 2019.

L’éducation Nationale m’a tuer

 

3 décembre 2019

C’est le dernier jour avant les vacances, la dernière heure de cours, même. On frappe à la porte de votre classe – Grand Fichtre ! – voici dans l’encadrement de la porte Monsieur le principal en personne (Madame la proviseure adjointe, si vous travaillez en lycée), qui s’est déplacé jusqu’à vous. Vous êtes prié de le suivre jusqu’à son bureau sans broncher, pendant qu’un surveillant va s’asseoir à votre place. Accessoirement, les élèves ne travailleront pas pendant une heure ; mais qu’ils n’apprennent que peu de choses en réalité, vraiment, cela n’a aucune importance pour votre hiérarchie : de ce côté-là, rien de neuf sous le soleil.

Une fois dans le bureau du grand chef, on vous accuse et vous accable car vous êtes par essence coupable. Inutile de chercher à rendre les accusations crédibles ou un peu épaisses : un simple battement de cil, avoir mis un pied devant l’autre, le fait d’avoir respiré un peu d’air va suffire à faire de vous un paria de cet établissement scolaire. Ne cherchez pas plus loin, il est inutile de répondre, et encore plus vain d’essayer de dialoguer, c’est un procès purement moscovite et votre supérieur hiérarchique est d’une mauvaise foi à couper au couteau. Là, vous sentez son haleine puant l’alcool à quelques centimètres de votre visage : il s’est mis à hurler sans aucune raison, et c’est normal : il joue et surjoue, uniquement pour que dans les pièces adjacentes (secrétariats, bureaux, couloirs…) chacun sache bien que vous êtes désormais sur « liste noire ». Vous êtes un très mauvais enseignant, le pire qu’on ait jamais vu dans l’académie et sur terre, c’est aussi saugrenu qu’incongru, et pourtant c’est une évidence, c’est la vérité, c’est officiel et l’information se répandra très vite dans tout l’établissement, aussi bien auprès des élèves et de leurs parents qu’auprès de vos collègues et de toutes les personnes qui gravitent autour de ce lieu. Votre chefaillon vous passe à tabac, vous matraque et vous assomme de reproches infondés et il ne cache plus qu’il fait de son mieux depuis quelques temps déjà pour briser le lien de confiance naturel entre les élèves et vous, entre les parents d’élèves et vous, entre les autres enseignants et vous ; et, comme de rares collègues vous en avaient aimablement mis en garde, c’est bien lui qui est à l’origine des diffamations, des calomnies et des rumeurs les plus répugnantes qui circulent sur votre compte en salle des professeurs. 

C’est là le seul point « positif » de cette situation des plus violentes et des plus traumatisantes : désormais, vous savez que votre propre administration travaille contre vous, elle qui – selon les textes officiels – devrait au contraire s’assurer de garantir votre santé et votre sécurité.  

Il n’y avait bien sûr aucun caractère d’urgence, aucune raison d’empêcher vos élèves de bénéficier de votre cours. L’instant est délicatement choisi : votre bourreau abat ses cartes maintenant, lors du dernier jour de classe, à la veille des vacances, avec l’espoir de gâcher salement les vôtres, et surtout de vous empêcher de recharger vos batteries pendant cette période qui devrait être consacrée au repos et à tout ce qui pourrait vous permettre de vous ressourcer. Plus d’une enseignante, plus d’un enseignant ne s’en est jamais remis. Par tradition, au beau Pays des Droits de l’Homme, dans les innombrables situations de suicides d’enseignants, la responsabilité pénale directe des chefs d’établissements scolaires et leur éventuelle culpabilité judiciaire ne sont pour ainsi dire jamais l’affaire de la Justice : alors pourquoi se gêner quand on a l’âme d’un tortionnaire ? 

Comme des dizaines de milliers d’enseignants en France, vous êtes la cible de mobbing

En mode Kasshogi version « sans effusions de sang », vous êtes réduit à l’état d’objet, votre vis-à-vis ne vous considère plus comme un être humain, mais comme une vermine, un parasite, un insecte nuisible qu’il faut écraser. Vous n’êtes plus un homme, vous n’êtes plus une femme, vous êtes un objet à broyer, à détruire, à éliminer. Suivant les mêmes logiques de déshumanisation que celles mises en oeuvre lors des exterminations ethniques, des purges politiques, et des génocides, votre bourreau est bel et bien un assassin. Il a prémédité et mûrement réfléchi ses actes. Pour perpétrer son crime, il  se retranche derrière sa position d’autorité et son statut de supérieur hiérarchique : jamais la pyramide décisionnelle ne le désavouera. C’est un principe intangible : toujours on couvrira ses manœuvres, ses manipulations, ses mensonges – et cet énième meurtre social, plutôt que d’écorner l’image de l’institution scolaire. L’assassinat peut s’accomplir en toute impunité, dans l’opacité absolue de cette nouvelle Grande Muette à côté de laquelle l’armée fait figure de forteresse de verre, ouverte à tous les vents. Crime commis avec l’aval d’une structure administrative, crime commis avec l’appui d’une organisation étatique, crime commis avec l’assentiment et la puissance du cadre d’une administration d’Etat. Sous son vernis de respectabilité, l’Education nationale  facilite et cautionne le meurtre social de milliers d’enseignants, chaque année, en France. Ni les grosses centrales syndicales, ni les médiateurs de l’Education nationale, ni les tribunaux administratifs ou pénaux, ni les journalistes « spécialisés » sur les questions d’éducation ne feront bouger les lignes. Seule une volonté du pouvoir politique pourrait demain ébranler les choses, mais de volonté politique, dans ce domaine, il n’y en a pas plus que de beurre en broche. L’arbre du harcèlement entre élèves cache la forêt des violences faites au « petit » personnel du service public éducatif, et c’est un arbre sur lequel il est bien commode de se focaliser.    

Vous êtes victime de mobbing : « l’extermination concertée d’une cible humaine », selon la définition établie par Madame Eve SEGUIN (1), universitaire et chercheuse, qui a consacré d’importants travaux à ce fléau aussi répandu que méconnu et effroyable, et qui constitue « le secret le mieux gardé des universités » mais aussi des lycées et des collèges.

Vous êtes pris au piège et encaissez l’extrême brutalité de cette technique adoptée et adorée par ces managementeurs portés à la tête des établissements scolaires, avec comme seules missions de casser le service public éducatif, d’écœurer ses agents les plus consciencieux, et de mettre à bas la valeur du savoir et l’autorité des enseignants.

Vous subissez l’ultra-violence de ce procédé classique et imparable qui a fait ses preuves et les fera longtemps encore, tant que l’administration centrale de l’Education nationale – jusqu’à ses plus hautes sphères de décision – et tant que magistrats, procureurs et juges de ce pays feront en sorte de tolérer l’intolérable, et de cautionner cette barbarie francetelecomesque.

Taisez-vous ! La voilà, l’Ecole de la Confiance. Vous êtes moins qu’un sous-citoyen et vous devez crever, sous les coups de votre supérieur hiérarchique. Vous devez crever, oui, mais en silence.

Par Pierre-André DIONNET

N.B. : toute ressemblance avec des personnes réelles serait purement fortuite etc. 

1-Eve SEGUIN est une universitaire canadienne, chercheuse au département des Sciences Politiques de l’UQAM, Université du Québec à Montréal. Son travail sur le mobbing (mené en mémoire de Madame Justine SERGENT, chercheuse et neuro-psychologue réputée de l’Université Mc Gill) est une référence absolue dans le domaine. L’article qu’elle publie en 2017 dans The Conversation constitue une excellente approche de ce qu’est le mobbing :

https://theconversation.com/mobbing-en-milieu-de-travail-ou-le-terrorisme-organisationnel-79378


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6 réflexions au sujet de « Des médias aveugles et silencieux ? (7) Laëtitia MONSACRE et Jim le Pariser osent briser l’Omerta sur le mobbing dans l’Education nationale. »

  1. Nous avions subi ce type de violence pendant 5 ans. Le chef d’établissement a été sanctionné après 3 tentatives de suicides dont 2 décès, par une rétrogradation dans un établissement plus petit à gros problèmes, sanction uniquement financière qui touchait sa prime mais on l’a laissé terminer sa période de 8 ans. il avait manipulé le conjoint du premier prof en rendant responsables certains collègues pour éviter une enquête. Le recteur avait programmé une inspection qui n’avait servi à rien. Les courriers de profs et un recours au rectorat n’ont pas servi à soutenir les profs et au renvoi du chef. Beaucoup de cancers se sont déclarés durant cette période. 4 personnes en sont décédées dans une période courte. Une association contre le harcèlement avait réuni des études de santé sur les employés victimes de Mobing : une femme sur deux était suivies pour un cancer du sein alors que cela touche une femme sur 8 dans la population.

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  2. En fait, la loi sur le harcèlement moral a été modifiée car lors des premiers procès, les juges ayant constaté que le Mobing était exercé en très grande majorité par les chefs. Il appartient donc à la victime d’apporter les preuves. Or le harceleur prend soin d’agir discrètement, avec un double visage : d’un côté la séducteur, de l’autre le programmateur des actes ignobles visant à détruire sa vicitme. Le Mobing est fréquent dans l’administration, car il est utilisé pour la gestion des personnels du fait du statut des fonctionnaires ne pouvant pas être licenciés. La moitié des chefs d’établissement du secondaire sont des enseignants en difficulté ( dépressifs, chahutés, en échec) recyclés par la hiérarchie par le biais des concours. Ils ne risquent donc pas d’avoir les compétences pour gérer dans de bonnes conditions des personnels adultes, des enfants et adolescents, ni de contrôler en plus les dépenses. Une autre partie des chefs sont d’ex-étudiants ayant échoué aux concours et se rabattant sur une carrière administrative : d’abord CPE puis adjoint jusqu’au poste de chef pour certains. Comment comprendre et aider les enseignants quand on n’a jamais enseigné soi-même? Les DRH des rectorats qui sont supposées gérer les conflits ont aussi des recrutements surprenants de personnes totalement incompétentes et placées là par cooptation et copinage.

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      1. Parler de « conflit » là où les violences sont unilatérales participe du mobbing. Une vacataire sans défense agressée sexuellement par un Zoubinard n’est pas en « conflit ».
        Il suffirait de juger et condamner les criminels et les délinquants qui sévissent dans l’Education nationale, plutôt que de les aider à commettre leurs méfaits.
        Inutile, donc, d’attaquer le service public et ses meilleurs serviteurs, ceux qui travaillent au contact du public.
        Pierre-André DIONNET

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