Harcèlement hiérarchique : le grand Déni de l’Education Nationale (2) Une « journée de lutte contre le harcèlement » qui permet d’encore mieux protéger… les harceleurs qui dirigent des établissements scolaires.

Jeudi 9 novembre 2017, c’est LA Journée officielle contre le harcèlement à scolaire. Avec un grand absent : le harcèlement infligé par une frange de chefs d’établissements (soutenus par l’administration de l’Education Nationale) envers… leur petit personnel.

Belle hypocrisie que cette campagne de propagande quand on connaît les moyens déployés par l’administration scolaire pour protéger systématiquement les chefaillons pratiquant le harcèlement sexuel ou moral. Même l’armée française a  su évoluer et a bénéficié de la publication d’un Livre blanc sur les viols et harcèlements commis en son sein. L’Education Nationale reste la dernière Grande Muette sur cette question taboue.   

 

getimage.aspx.jpg

 

« L’arbre du harcèlement entre élèves ne doit pas masquer la forêt du harcèlement contre les enseignants et les agents du Ministère. ». La formule n’a pas fait florès, et pourtant… C’est bel et bien ainsi que les choses fonctionnent, en France, en 2017, et le Ministère baigne dans le déni. Faire pleurer dans les chaumières en exposant sans trop de pudeur les raisons atroces qui ont poussé une enfant de 12 ans à mettre fin à ses jours, oui, c’est sans doute nécessaire pour faire évoluer les choses. Mais c’est aussi se donner bonne conscience et détourner le regard de violences autrement plus destructrices et perverses, entretenues par des fonctionnaires et par tout l’encadrement de l’Education Nationale. C’est plonger son auditoire et son lectorat dans l’émotion, et c’est l’éloigner toujours plus de la réflexion. Réflexion sur les 200 000 (deux cent mille) agents de l’Education Nationale qui subissent des délits de harcèlement en ce moment même, sans que personne ou presque ne dise : STOP ! 

 

Harcelement-sexuel-au-travail-ces-justicieres-qui-aident-les-femmes.jpg

 

Lorsque les victimes des minuscules Harvey WEINSTEIN de l’Education Nationale les voient organiser cette journée dans le collège ou le lycée dont on leur a confié la direction… elles ont souvent le même haut-le-coeur que celui qui a poussé Sandrine ROUSSEAU, Isabelle ATTARD et de nombreuses autres femmes à sortir du silence. Voir le sieur BAUPIN s’afficher et sourire, du rouge non pas au front, mais aux lèvres. Le voir poser « fièrement », s’afficher publiquement en faveur d’une campagne pour le Droit à l’égalité des Femmes, cela a été – ces femmes courageuses l’ont expliqué – la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Dire les choses, oser parler, oser nommer, dire le nom de celui qui a. Eventuellement porter plainte contre lui. Porter plainte malgré les réseaux, les appuis et les soutiens dont une bonne part de ces délinquants bénéficient. Porter plainte tout en sachant que la Justice estime avoir mieux à faire que se pencher sur si peu de choses. Sans parler des magistrats burgaudiens qui adorent condamner les victimes et qui jugent que les écouter est inutile et trop fatiguant – il faut avoir déjà croisé quelques spécimens particulièrement gratinés de ces burgogos pour mesurer à quel point la Justice est une loterie, elle qui remet son pouvoir décisionnaire aussi bien à des juges très rigoureux et fort compétents qu’à d’irresponsables burgauliques qui sévissent dans quantité de tribunaux (même s’ils y sont en minorité).

578_500_csupload_38436944

 

Faut-il laisser les harceleurs X, Y, et Z parader hypocritement à la tête de leur collège et de leur lycée lors de cette grande et belle Journée du 9 novembre, eux qui ont poussé au suicide une de leurs subordonnées ? (C’est dans tel établissement scolaire de telles villes un secret de polichinelle dont seules les familles des défunts ont été préservées…). Eux qui sont responsables de la mort de cette secrétaire, eux qui ont joué le premier rôle dans le suicide de cet enseignant ? Ou peut-on dire : maintenant, cette impunité institutionnalisée, cette tradition qui devrait faire honte à l’Education Nationale, cette permanence du point aveugle de l’administration doivent cesser ?

Peut-on demander que cesse cette culture de la complicité ?

Cette culture de la complicité ou plus probablement de l’indifférence qui fait que tel et tel Procureurs de la République n’ont pas donné à la Justice les moyens d’enquêter sur les causes réelles de ces suicides d’enseignants, malgré les courriers implacables et accablants laissés par les victimes.

Cette culture de la complicité ou de la complaisance qui fait que le recteur, le DASEN, les hauts fonctionnaires du rectorat n’ont jamais eu l’ombre d’un début d’information ni rien qui puisse leur mettre la puce à l’oreille concernant les viols commis par ce chef d’établissement sur une femme de ménage en situation précaire.

Cette culture de la complicité ou de la négligence qui fait que Villemoison n’a pas eu lieu, ou que c’est la faute à pas de chance si vos enfants ont été violés alors que l’administration savait – oui, elle savait ! – mais qu’elle était trop occupée à charger de fautes fictives le dossier d’un petit prof’ syndicaliste : les cellules juridiques du rectorat ne peuvent courir tous les lièvres à la fois ! 

Cette culture de la complicité dont la logique et le rêve ultime est de faire condamner pour diffamation publique les lanceurs d’alerte avant-même qu’ils pointent et osent nommer les complices de viol, de pédophilie, de harcèlement sexuel ou moral. Complices – au sens de l’article Article 121-7 du code pénal : « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. ».

Sandrine ROUSSEAU et Isabelle ATTARD ont eu le courage de parler. Et… ce sont elles qui sont poursuivies pour diffamation publique. Dans l’Education Nationale, c’est plus kafkaïen, c’est bien plus pervers, c’est encore plus violent, et la répression ultra-brutale s’exerce de façon totalement opaque. C’est ce qu’on pourrait appeler : l’Omerta au rectorat, cautionnée par les hauts fonctionnaires du Ministère (mais il n’est pas dit que les choses resteront toujours figées – à titre personnel j’ai largement fait ma part pour qu’elles ne le restent pas).

 

big-viol-plainte-1

 

Un de mes collègues en est venu récemment à tenir en off ce discours auprès des nouveaux enseignants qu’il croise :  « Un bon conseil aux agents de la fonction publique dépendant du Ministère de l’Education Nationale, croyez-moi : si vous croisez demain un chef d’établissement pédophile, violeur ou harceleur, surtout, n’en parlez pas. Surtout ne vous en mêlez pas et fermez les yeux. N’en parlez pas, bien qu’en théorie la loi vous y oblige : si vous en parlez, c’est vous qui allez perdre votre emploi, puisqu’à quelques exceptions près de cas de pédophilie ou de malversations vraiment trop visibles, l’administration protège systématiquement les maillons supérieurs de la chaîne hiérarchique. Vos collègues, les syndicats, et les juges suivront, car la culture de la complicité est la même, pour un Harvey WEINSTEIN, producteur à Hollywwod, comme pour un DUPONT LAJOIE, principal de collège à Trouville-les-Oies. » .

960x614_image-tiree-documentaire-harcelement-sexuel-travail-affaire-tous.jpg

Pas certain qu’il ait entièrement tort, ce collègue.
Pas certain non plus qu’il soit totalement impossible de faire évoluer les choses, quitte à y laisser beaucoup de plumes.

Ou plutôt, pour filer la métaphore des animaux de ferme et du dindon de la mauvaise farce : tant qu’à y laisser des plumes, tant qu’à se faire plumer malgré soit, autant balancer ses porcs et leurs complices, non ? Grrrrrouïïïkkk ! 🙂

En résumé, le harcèlement entre élèves, c’est très bien d’en parler et de le combattre, mais on est loin du compte, loin des priorités, loin de mettre un terme aux plus sordides des tartufferies de l’Education Nationale. Et tout cela éloigne encore et toujours plus de cette question ULTRA-TABOUE : Quel Ministre de l’Education Nationale mettra à bas les mécanismes institutionnels qui protègent les milliers de minuscules Harvey WEINSTEIN nourris par l’institution scolaire ?

Pierre-André DIONNET

P.S. : je reproduis ci-dessous, à la fin de ce billet,  le texte de Daniel ARNAUD, publié à l’occasion de la précédente Journée contre le harcèlement à l’Ecole.

P.P.S. : je ne sais plus qui a eu cette formule, mais elle est très juste, j’en fais mon miel et je la répète :

« L’arbre du harcèlement entre élèves ne doit pas masquer

la forêt du harcèlement contre les enseignants et les agents du Ministère.  »

====================================================================

====================================================================

Ci-dessous : Ce qu’on ne vous dit pas lors de la « Journée contre le harcèlement à l’Ecole », Daniel ARNAUD, 2 novembre 2016.

====================================================================

====================================================================

mercredi 02 novembre 2016 15h35

Ce qu’on ne vous dit pas lors de la « Journée contre le harcèlement à l’Ecole »

Puisque c’est la « Journée contre le harcèlement à l’Ecole », rappelons que ce fléau ne touche pas seulement les élèves – contrairement à ce qui est suggéré par les campagnes officielles – mais également les personnels d’éducation.  

« Le milieu éducatif est un des plus touchés par les pratiques de harcèlement moral. », affirmait déjà Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage de référence Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle, publié en 2001. Et selon une étude conduite en 2013 par l’Autonome de Solidarité Laïque (ASL) sur le climat scolaire, 21,9 % des personnels d’éducation du second degré déclarent avoir été confrontés à ce genre de situation au cours de leur carrière. Mais qui en parle aujourd’hui ?  

Le problème reste qu’en France – un pays qui sous ses dehors « libéraux » ne s’est jamais départi de son goût pour l’autoritaire -, par culture du « pas de vagues » et attachement au pouvoir fort, on fait toujours passer l’« image » de l’institution et sa « stabilité » avant les droits des personnes et l’application de la loi (rappelons que le harcèlement moral au travail n’est pas la « lubie » de ceux qui en parlent – ça, c’est le discours de ceux qui ne veulent pas voir et cherchent à entretenir le déni -, mais bien un délit). Ce qui signifie, en clair, que dans cette République dite « démocratique » et respectueuse des « droits de l’homme », un salarié peut être harcelé sur son lieu de travail – par des collègues ou par des supérieurs malveillants, et pour un certain nombre de motifs -, parfois jusqu’au suicide (l’Education nationale est du reste un des secteurs qui en compte le plus), sans que le préjudice soit reconnu. Au contraire, en général la hiérarchie amplifie le harcèlement pour faire taire, quitte à inverser les rôles entre victimes et bourreaux, de manière à ne pas avoir à reconnaître un dysfonctionnement qui porterait atteinte à la sacro-sainte « image ».  

« On ne désavoue pas un supérieur » : tel est le genre de principe qui prévaut encore aujourd’hui dans l’institution scolaire, sur lequel s’appuie l’administration afin de persécuter les lanceurs d’alerte (on ne compte plus les petits Snowden qui s’y sont essayés !), et qui transforme cette dernière en zone de non droit (car comment appeler un secteur d’activité dans lequel on refuse tout bonnement d’appliquer la loi ?).  

Oui, l’administration française derrière ses dehors policés, quand elle veut détruire les gens s’y entend aussi pour se montrer bien débile, inhumaine et impitoyable… avec souvent la complicité de gens (très) ordinaires qui préfèrent adopter la politique de l’autruche.  

Et on attend toujours qu’un ministre ose enfin aborder le sujet… Une ministre, en l’occurrence. Mais faut-il encore espérer quelque chose de Najat Vallaud-Belkacem ?  

Daniel ARNAUD

Philosophe, écrivain, Auteur, entre autres publications, du Harcèlement moral dans l’enseignement (L’Harmattan, 2013) et de La République a-t-elle encore un sens ? (L’Harmattan, 2011). http://generation69.blogs.nouvelobs.com/archive/2016/11/02/ce-qu-on-ne-vous-dit-pas-lors-de-la-journee-contre-le-harcel-593212.html

 

====================================================================

====================================================================

Ci-dessus : Ce qu’on ne vous dit pas lors de la « Journée contre le harcèlement à l’Ecole », Daniel ARNAUD, 2 novembre 2016.

====================================================================

====================================================================

 


En savoir plus sur Mais faites taire ce p'tit prof, bon sang !

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

27 réflexions au sujet de « Harcèlement hiérarchique : le grand Déni de l’Education Nationale (2) Une « journée de lutte contre le harcèlement » qui permet d’encore mieux protéger… les harceleurs qui dirigent des établissements scolaires. »

Laisser un commentaire