Monsieur Daniel ARNAUD, un des meilleurs spécialistes du harcèlement hiérarchique en milieu scolaire, le constate. On ne compte plus les « petits Snowden », les lanceurs d’alerte qui ont été persécutés, muselés et broyés par l’institution scolaire (1).
Victime de très lourdes violences et d’abus de pouvoir, de délits de harcèlement moral commis par une partie de ma hiérarchie, je suis devenu au fil du temps – et bien malgré moi ! – un assez bon connaisseur de ces mécanismes et des enjeux qui les sous-tendent. En 2021, je suis un des rares lanceurs d’alerte à travailler sur ces sujets et à publier régulièrement des textes sourcés proposant diverses approches de ces fléaux.
Lanceur d’alerte, bien avant le mouvement #metoo et le mouvement #PasdeVague
Bien avant l’émergence du mouvement #metoo, j’ai été le premier lanceur d’alerte à expliquer, à qui voulait l’entendre, que les failles administratives et judiciaires permettant à un proviseur de mobber et de détruire en totale impunité une vingtaine d’enseignants au cours de sa carrière, pouvaient aussi bien bénéficier à un violeur ou à un pédophile, pour peu qu’il dirige un établissement scolaire.
Bien avant l’émergence du mouvement #PasdeVague, j’exposais de façon publique à quelles violences pouvaient être soumis le personnel de l’Education nationale. Et en quoi ces violences sont systémiques, institutionnelles, cautionnées par qui de droit.
C’est ce que j‘ai appelé « la francetélécomisation de l’Education nationale », puisqu’on retrouve toutes les caractéristiques des délits pour lesquels Didier Lombard, ex-PDG de France Télécom, et une partie de sa fine équipe ont été condamnés en décembre 2019.
Jérôme VIVENZA(2) en dénombre quatre :
– le déni de réalité,
– un conflit de valeurs,
– la perte du sens du travail,
– le mépris institutionnel.
Pour Michel LALLIER (3), trois aspects sont caractéristiques des attaques subies par les salariés pris au piège de ces méthodes :
– l’invisibilité (jusque dans l’absence de statistiques),
– le déni du réel systématisé et organisé,
– les modes de violences et de maltraitances.
Gare à celui qui brise l’Omerta, la fameuse « Omerta au Rectorat ».
C’est la mort professionnelle et la mort sociale à laquelle on le condamne… à moins que…
LA RECTRICE M’A SAUVER
La rectrice m’a sauver.
Madame Valérie CABUIL, rectrice de l’académie de Lille, chancelière des universités, rectrice de la région académique des Haut de France m’a sauver.
Et Omar ne m’a pas tuer !
Madame la rectrice m’a sauvé, et voilà comment.
Le 4 novembre 2020, le plus déterminé de mes défenseurs syndicaux, et moi-même, avons été reçus par Madame Christelle DERACHE, Directrice des ressources humaines du rectorat de Lille, secrétaire générale adjointe du rectorat, fraîchement en poste.
Nous lui avons exposé la situation, déjà exposée cent fois et plus à ses prédécesseurs et à mille interlocuteurs (4). Et nous avons rappelé toutes les solutions de bon sens proposées au fil des ans, qui auraient dû permettre à l’administration de sortir par le haut de ce bourbier dans lequel elle s’était elle-même envasée.
Cette audience a permis qu’in extremis soient postposées des actions radicales, dont la publication d’une Lettre Ouverte à Madame la rectrice d’académie (5), et qu’un accord soit établi. Le terrain d’entente et la solution n’étaient vraiment pas difficiles à trouver : il suffisait d’une once de bonne volonté.
Bien évidemment (la question m’a formellement été posée lors de cet entretien), je n’exigeais ni la reconnaissance officielle, ni la reconnaissance judiciaire, des multiples délits de harcèlement moral subis entre 2003 et 2020 (dont une partie tombent sous le coup de la prescription). Ce n’était pas une condition sine qua non pour tourner la page, et nous apportions tous les gages de bienveillance et de loyauté permettant la mise en œuvre rapide d’une issue. « Rapide », ou « très rapide », car déjà, l’urgence était de mise.
Du reste, il suffisait d’un instant et d’une signature pour tout résoudre.
L’engagement a été pris, les promesses faites, l’intérêt et l’image de l’administration préservés. Il n’y aurait pas de Lettre Ouverte fracassante, pas de coup d’éclat, pas de recours à la médiatisation du haut d’une grue de chantier, pas de version nordiste de « l’Affaire des 4 de Melle » (6), et pas d’exposition publique de délits pour la plupart juridiquement prescrits, commis par des chefaillons ayant trahi la confiance du rectorat.
Chacun éprouve un profond soulagement suite à l’engagement formel pris par les plus hautes instances administratives du rectorat.
Ouf ! Depuis cette date, chacun éprouve un profond soulagement. Tout est réglé (ou le saura très vite), « tout est bien qui finit bien », et le pire a été évité, grâce à l’attention et au travail de Madame DERACHE, Directrice des ressources humaines du rectorat de Lille, secrétaire générale adjointe du rectorat.
Certes, les choses sont un peu lentes à se mettre en place, l’administration ayant les défauts de ses qualités. A vrai dire, 6 mois plus tard, rien n’a changé. Il a même fallu encore contrer de menues erreurs commises par d’autres services de la Rue de Bavay. Oh, trois fois rien. Si peu…
Trois fois rien au regard des atrocités déjà subies sur 19 années de temps. Trois fois rien au regard de l’engagement formel pris par les plus hautes instances administratives. Lors d’un échange par visio-conférence, il y a trois semaines, Madame la Directrice des Ressources Humaines du rectorat a pleinement rassuré mon relais syndical : avant le 30 juin de cette année, les promesses seront tenues. Et on voit mal comment la Secrétaire générale adjointe du rectorat pourrait revenir sur sa parole, et « trahir » Madame la rectrice d’académie – qui s’est par ailleurs elle-même et elle aussi montrée rassurante, dans un courrier officiel daté du 15 février 2021 : ce dossier a « retenu toute [son] attention », suivant la formule consacrée.
Je vous le dis : « la rectrice m’a sauver », Madame la rectrice m’a sauvé.
Sans l’action de Madame la rectrice d’académie, en 2022 j’aurais pu écrire : « Un enseignant harcelé pendant 20 ans par des administratifs de l’Education nationale ! ».
En 2022, cela aurait fait 20 ans.
Sans l’action de Madame la rectrice d’académie, en 2022 j’aurais pu écrire : « Un enseignant harcelé pendant 20 ans par des administratifs de l’Education nationale ! ». Avec un beau point d’exclamation, cette fois. Mais cela va s’arrêter avant. J’ai confiance. J’en suis convaincu.
J’ai confiance, j’ai une confiance entière et absolue en Madame Valérie CABUIL. Il est impossible – im-pos-si-ble – qu’elle cautionne et prolonge plus avant ces ignominies, cette barbarie, cette samuelpatysation (7) à petit feu.
Il me tarde de tourner la page et de pouvoir passer à autre chose.
Harcelé pendant 19 années, oui. Harcelé et broyé pendant 20 années, non.
Merci, Madame la rectrice d’académie.
Pierre-André DIONNET
P.S. : Qu’on me comprenne bien.
Je ne demande qu’une chose : qu’on me laisse travailler en paix.
Mes bourreaux ne seront pas inquiétés – c’est une « chance » pour eux, et cela ne me concerne pas.
Qu’on me laisse travailler en paix.
Et d’autres prendront le relais de ce travail de lanceur d’alerte – j’ai assez donné.
(1) Article du 2 novembre 2016, Daniel ARNAUD, « Ce qu’on ne vous dit pas lors de la Journée contre le harcèlement à l’école » :
http://generation69.blogs.nouvelobs.com/archive/2016/11/02/ce-qu-on-ne-vous-dit-pas-lors-de-la-journee-contre-le-harcel-593212.html
« On ne désavoue pas un supérieur » : tel est le genre de principe qui prévaut encore aujourd’hui dans l’institution scolaire, sur lequel s’appuie l’administration afin de persécuter les lanceurs d’alerte (on ne compte plus les petits Snowden qui s’y sont essayés !) »,
Article cité dans mon billet du 9 novembre 2017 :
https://faitestairecepetitprofbonsang.wordpress.com/2017/11/09/harcelement-hierarchique-le-grand-deni-de-leducation-nationale-2-une-journee-de-lutte-contre-le-harcelement-qui-permet-dencore-mieux-proteger-les-harceleurs-qui-dirigen/
(2) Prise de parole de Monsieur Jérôme VIVENZA lors du colloque « Souffrances au travail : quelles perspectives après France Télécom ? », 20 janvier 2020, Sénat.
https://www.publicsenat.fr/article/politique/affaire-france-telecom-le-harcelement-institutionnel-mis-en-cause-149322
Jérôme VIVENZA est membre de la Commission exécutive confédérale de la CGT et négociateur de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail du 9 décembre 2020.
(3) Prise de parole de Monsieur Michel LALLIER lors du colloque « Souffrances au travail : quelles perspectives après France Télécom ? », 20 janvier 2020, Sénat.
https://www.publicsenat.fr/article/politique/affaire-france-telecom-le-harcelement-institutionnel-mis-en-cause-149322
Michel LALLIER, expert syndical incontournable sur les questions du nucléaire, est le cofondateur, avec Frédérique GUILLON et Dominique HUEZ, de l’Association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et aux dépressions professionnels (ASD-pro). L’association s’est notamment portée partie civile dans le procès des ex-dirigeants de France-Telecom.
https://maitron.fr/spip.php?article239733
(4) Ce billet du 30 juin 2018 en témoigne ; en réalité, de tout temps l’entourage professionnel le plus proche des recteurs d’académie successifs a été informé de l’existence de « dérives » de ce type… https://faitestairecepetitprofbonsang.wordpress.com/2018/06/30/mais-faites-taire-ce-ptit-prof-bon-sang-le-temps-des-vacances/
(5) Cette Lettre Ouverte remisée au fond d’un tiroir ne porte pas tant sur ma situation (qui indiffère tout un chacun, hormis des proches, des amis et des copains), mais sur celles de collègues et surtout sur les responsabilités des uns et des autres, qui ne manqueraient sans doute pas d’émouvoir et de faire du bruit si elles avaient dû être exposées de façon transparente…
(6) Les « 4 de Melle », enseignants menacés de sanction pour avoir protesté contre la réforme Blanquer, article de Tania KADDOUR-SEKIOU, 14 octobre 2020, Politis. https://www.politis.fr/articles/2020/10/les-4-de-melle-enseignants-menaces-de-sanctions-pour-avoir-proteste-contre-la-reforme-blanquer-42389/
(7) Voir ce billet du 6 janvier 2021 :
Francetélécomisés et « samuelpatysés » à petit feu, les enseignants vont-ils passer une bonne année 2021 ?