Marlène SCHIAPPA : les enseignantes considérées comme des sous-citoyennes ? (1) Une Secrétaire d’Etat nommée depuis 20 mois.

Par bien des aspects, les enseignantes sont considérées en France comme des « sous-citoyennes ». Il n’est pas excessif de l’écrire.

Je ne pense pas seulement ici à leur traitement salarial étique ; ni à la différence de rémunération et d’avancée de carrière entre femmes et hommes ; ni au décalage entre le niveau de recrutement et de responsabilité des enseignantes, et celui de fonctionnaires exerçant dans d’autres ministères et bénéficiant d’un salaire très largement supérieur.

Je ne pense pas seulement au mépris qui s’exerce tout autant envers les enseignants qu’envers les enseignantes. Mépris qui, parfois sous couvert d’humour, se diffuse aussi bien au comptoir du Café du Commerce, que parmi ceux qu’on nomme les « élites », en passant par toutes les strates de la population, sans exception aucune. Mépris généralisé. Mépris bien commode pour que se défoulent les uns, et pour que les autres ciblent de parfaits bouc-émissaires : les professeurs seraient responsables  de tous les maux sociaux et financiers qui épuisent un pays en son entier (« ce sont ces fonctionnaires paresseux qui sont à l’origine de la « dette » de la France, l’évasion fiscale n’y est pour rien », selon une petite musique aussi répandue que pernicieuse et efficace).

Je pense d’abord à leurs Droits. Je pense aux Droits. Aux Droits dont chaque humain dispose, selon les Lois, les textes souverains, les règles d’équité, les Chartes, les Conventions, les normes juridiques, les principes internationaux, le bon sens débonnaire qui considèrent comme égaux tous les êtres vivants identifiés comme appartenant au genre et au groupe des humains.

Oui, du point de vue du Droit, en pratique, les enseignantes sont considérées en France comme des « sous-citoyennes ».

Les lectrices et les lecteurs de ce site le savent. Celles et ceux qui lisent les (rares) ouvrages, les (rares) articles de presse, les (quelques) autres blogs traitant plus ou moins du sujet ou – plus souvent – de sujets connexes, le constatent comme moi. Et la démonstration n’est plus à faire. La Grande Muette ? Ce n’est plus l’armée, qui depuis la publication en 2014 par Leila MINANO et Julia PASCUAL de La Guerre invisible. Révélations sur les Violences sexuelles dans l’Armée française travaille (trop) lentement à libérer la parole et à agir concrètement. La Grande Muette, depuis longtemps déjà, c’est d’abord l’Education Nationale. Celle que dirige le Ministre Monsieur Jean-Michel BLANQUER. Celle qu’a dirigée avant lui Madame Najat VALLAUD BELKACEM, et bien d’autres avant eux.

Chance. Le 25 novembre 2017, notre Président de la République a choisi de déclarer Grande Cause Nationale de son quinquenat l’Egalité entre les femmes et les hommes. Auparavant, le 17 mai 2017, Madame Marlène SCHIAPPA a été nommée Secrétaire d’Etat auprès du premier Ministre – ce n’est pas rien, et il n’est pas possible que rien n’en sorte, il n’est pas possible qu’il n’en sorte rien, ni trois fois rien. Les choses ne peuvent que bouger, dès lors. Cela ne peut se faire d’un claquement de doigts, mais des mesures fortes, concrètes, de terrain, efficaces, efficientes, visibles, novatrices, innovantes, vont venir modifier pas-à-pas le réel.

Par exemple, il ne sera plus possible, pour un chef d’établissement scolaire, d’agresser sexuellement une enseignante, ou – au choix, selon son bon vouloir et la vulnérabilité de ses victimes – « sa » secrétaire, « ses » collaboratrices, « son » personnel chargé de l’entretien, le personnel de cantine, l’infirmière, les surveillantes, les A.E.D., les A.V.S., « son » adjointe, « sa » C.P.E., « sa » gestionnaire, « son » intendante… Du moins, le « grand patron » au-dessus des lois n’aura plus l’assurance que tout sera fait pour étouffer les faits ; pour minimiser l’affaire ; pour éviter le scandale ; et « au pire », pour inverser les rôles des victimes et de l’agresseur ; pour que les victimes doivent rendre compte judiciairement de prétendues diffamations ; pour que les juges se montrent très magnanimes, très tolérants, fort bienveillants et très à l’écoute des théories fumeuses du supérieur hiérarchique coupable de viols mais jamais condamné.

Cela ne se fera plus dans l’impunité, une impunité de fait. Dans une totale impunité pénale. Dans l’opacité. Dans une ombre entretenue par l’administration elle-même. Dans un brouillard voulu et entretenu par l’institution, par chaque pan de cette institution, puissants syndicats compris; et relayé par l’institution judiciaire. Par exemple, on assistera à quelques procès pénaux forts, symboliques, édifiants. Des procès  dont le verdict, le retentissement et la portée « éducative » dissuaderont une fois pour toutes les minuscules Harvey WEINSTEIN sévissant dans l’Education Nationale.

Par exemple, le harcèlement moral hiérarchique sera lui aussi éradiqué, lui qui produit les mêmes dégâts, les mêmes effets, les mêmes gâchis humains que les agressions sexuelles : je parle bien du vrai harcèlement moral, ultra-violent et prolongé dans le temps – 5 ans, 10 ans , 15 ans et plus de calvaire sans répit ! – et par rapport auquel il n’existe aucun garde-fou, aucune issue, aucune échappatoire : qu’on lise ou relise Daniel ARNAUD, Paul VILLACH, Guy LANDEL, Roland VEUILLET, le trio Marie Jeanne et Philippe, Pierre-Yves CHEREUIL, Samuel FRANCOIS, ou les articles de ce blog.

Le 8 mars 2018, Journée internationale des Droits des femmes, j’ai pris l’initiative d’écrire à Madame Marlène SCHIAPPA, Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre (ou si l’on préfère, j’ai alerté sans détour et sans fard l’équipe de travail qui l’entoure, sa Directrice de Cabinet, son Directeur de Cabinet adjoint, et sa Cheffe de Cabinet). Et je ne me suis pas arrêté là. Que croyez-vous qu’il se soit passé, depuis lors ? De prochains billets le préciseront si cela devient nécessaire.

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Ce soir, 25 janvier 2019, à partir de 22h00, Madame la Secrétaire d’Etat en personne co-animera l’émission de Cyril HANOUNA Balance ton Post sur la chaîne de télévision C 8. Il se murmure que sous une très relative pression « médiatique » (on se demande bien qui aurait pu agir en ce sens, et par quels biais…) un moment d’échange pourrait être consacré aux violences faites aux enseignantes, ou plutôt à un vague « mal-être enseignant » – l’équipe de la Secrétaire d’Etat aurait préparé une petite fiche permettant, le cas échéant, de répondre avec assurance à toute question sur le sujet.

Wait and see…

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            Une chose est claire. Au cas où le « malaise enseignant » serait abordé, il sera tentant et facile de se contenter de vagues et bonnes intentions. Ou de promesses creuses. Ou de renvoyer à l’existence d’un énième numéro vert d’ « écoute » ou d’un « tchat’ en ligne » qui ne résolvent rien de la situation particulière des enseignantes piégées et contraintes par leur propre administration, par leur propre employeur, par les dysfonctionnements de l’Education Nationale, cet Etat en roue libre dans l’Etat.

Pas plus que ne convaincront la possibilité de missionner un quantième Comité Théodule,  ou de se référer aux médiateurs de l’Education Nationale (l’académie de Lille en compte pas moins de 3, dont je puis assurer que pas un seul – pas un seul de ces trois fonctionnaires – n’agit efficacement dans ce domaine précis, je puis l’affirmer et en parler d’expérience, documents à l’appui).

Il faudra – il faudrait – autre chose que de la communication. Autre chose que la comm’. Autre chose que du blablablabla. Autre chose que de l’enfumage. Il faudra – il faudrait – des actes forts. A la fois concrets et symboliques, qui marquent les esprits, qui marquent un tournant, qui marquent un virage à 180 ° de la politique publique de notre pays.

Seul le pouvoir politique peut nettoyer les écuries d’Augias de l’Education Nationale.

Seul le pouvoir politique peut décider de mettre un terme à l’aveuglement institutionnalisé, au déni, au tabou, à l’Omerta.

Seul le pouvoir politique peut changer le sort des enseignantes.

Que de « sous-citoyennes », elles puissent demain jouir de leurs Droits, plutôt que d’être, ici et là, malgré elles, le réceptacle déshumanisé des basses jouissances de ces chefaillons criminels que sont leurs agresseurs et leurs violeurs.

Que de « sous-citoyennes », elles puissent demain relever la tête, et commencer à se reconstruire, plutôt que d’être, ici et là, « au mieux », figées ad vitam aeternam dans un statut de victimes d’abus d’autorité, d’excès de pouvoir, de délits patents de harcèlement moral les détruisant au coeur de leur humanité, sans que cela jamais ne soit reconnu. Seul le pouvoir politique possède la clef de ce grand changement, une clef qu’il est seul à pouvoir actionner. Mais en a-t-il la volonté ?

Pierre-André DIONNET, 25 janvier 2019, 22h00.


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