Ils parlent de l’Ecole (2) François RUFFIN / « Je ne crois pas que l’Ecole peut tout résoudre […] Ils voudraient faire de l’Ecole un îlot [et que] les gamins soient extraits de ce monde alentour où on veut faire de toi un bon producteur, un bon consommateur, et pas trop un citoyen, quand même ! »

Dès mes premiers pas dans l’enseignement, un de mes plus grands plaisirs a été de contribuer à former des citoyens. Vaste et noble ambition !
Ambition atteinte ? Davantage que par tous ces « profs » qui jamais ne se sont engagés dans cette voie, en tout cas.

Ce plaisir ne m’a jamais quitté. Et l’éveil à l’esprit critique constitue un des plus importants bénéfices que j’ai pu apporter à mes élèves.

Mais assez vite, ma hiérarchie locale a exigé de moi que je renonce à éduquer à la citoyenneté. Et que je me borne à mouler de bons cons sots mateurs, et de futurs producteurs bien sages et très dociles.
Mes collègues, pour une bonne part, n’étaient pas concernés par ce type d’enjeux. Cela en arrangeait d’autant mieux quelques-uns d‘entre eux qu’ils se montraient incapables d’autre chose que d’animer des séances de jeux pseudo-pédagogiques, d’abaisser chaque année le niveau des maigres connaissances réellement transmises, et d’acheter la paix sociale en copinant avec des pré-ados.
Se borner à faire semblant d’agir comme un vrai enseignant : c’est toute la différence entre le « prof’ » et le « professeur ». Par la démagogie, on évite les difficultés, et tant pis si on ne permet pas aux élèves de « s’élever ».

Pour avoir refusé de me coucher devant des Zoubinard dont la place devrait encore aujourd’hui être en prison (parmi des violents, des voleurs et des violeurs – mais oui ! ma bonne dame), on m’a causé quelques soucis.

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Bien plus tard, des années plus tard, c’est au pied du beffroi de Béthune, lors d’une agora improvisée de Nuit Debout que m’est venue cette formule, évoquée dans mon précédent billet. « L’Ecole ne permet plus aux enseignants de former des citoyens. Elle les contraint à mouler des cons sots mateurs. ». Non, François RUFFIN n’a bien sûr jamais repris cette expression, contrairement à ce que peut laisser suggérer le titre dudit billet (1). Personne ne verrait ce député de la Somme employer les termes « cons » ou « sots » dans un tel contexte. Pour être au cœur de la « machine Ecole », je puis me permettre, pour ma part, de les employer. Non pas pour dénigrer des élèves ! Bien au contraire ! Mais pour les défendre : les élèves méritent mille fois mieux que d’être bernés par des contre-réformes qui, au fil des ans, ont effroyablement diminué le nombre d’heures de cours dont ils pouvaient bénéficier ; ont effacé les exigences minimales à l’entrée en collège, à l’entrée en lycée, à l’entrée à la faculté ; ont mis à bas et empêché tout enseignement de qualité, sous couvert de modernisation, de pédagogolisme ubuesque, et de passage à l’ère du numérique et à on ne sait quel « monde d’après ».

Ma brève rencontre avec le créateur du Journal Fakir, je l’ai récemment évoquée, ici-même. (2) François RUFFIN n’en a rien gardé et peu importe. L’essentiel est qu’au fil d’autres échanges, de lectures, et de réflexions, ce député, dont la parole est relayée par les médias, ait aujourd’hui une conscience pertinente de quelques-uns des enjeux liés aux dérives de l’Ecole publique.
Qu’on l’écoute :

« Moi je ne crois pas que l’Ecole peut tout résoudre. […] T’as le tout écran à l’extérieur, t’as des gosses qui sont éduqués à l’extérieur pour devenir quoi ? Des bons petits consommateurs, avec des heures de pub’ qu’on leur met dans la tête, et puis à l’école il faudrait qu’ils apprennent à bouffer des légumes ? Tu vois un peu ce que je veux dire ? Et là, tu as l’impression qu’ils espèrent faire de l’Ecole non seulement l’îlot de sainteté, mais qu’en plus, au milieu de ce monde de merde, il faudrait que l’Ecole parvienne à contaminer le monde alentour, et que les gamins ils soient extraits de tout ce monde alentour où on veut faire de toi un bon producteur, un bon consommateur, et pas trop un citoyen, quand même. […] » (3) 

 

Quant à savoir si ma petite formule (qui ne mérite tout de même pas d’être déposée à l’INPI), a fait ou non florès, là aussi peu importe.
Ce qui compte est que les idées passent. Que petit-à-petit on pige que la casse de l’Ecole de la République – et donc la casse de la République – passe tout autant, sinon davantage, par exemple – par les conséquences mortifères de la « fausse bienveillance » – que par la comptabilité sèche de la diminution constante du nombre de postes d’enseignants, de leur pouvoir d’achat, et de leurs droits les plus élémentaires.
« L’Ecole ne permet plus aux enseignants de former des citoyens. Elle les contraint à mouler des cons sots mateurs. »
On m’a dit que sur les réseaux sociaux, des collègues reprenaient parfois cette formule, par exemple en « bannière » de leur compte. Et qu’on y relayait régulièrement les articles de ce blog.
Je remercie celles et ceux qui les relayent, et plutôt deux fois qu’une. Merci, j’en suis ravi.
Non que j’en tire une quelconque satisfaction narcissique, d’orgueil mal placé. Mais parce qu’il faudra bien, un jour, parvenir à dés-invisibiliser les violences faites au personnel de l’Education nationale, comme on commence enfin un peu, ces jours-ci (4), sur le tard, à reconnaître l’ampleur des violences policières, trop longtemps volontairement occultées par certains syndicalistes, par les journalistes, par les médias, par la plupart des politiques, par les décideurs et les gens de pouvoir.

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Le parallèle me semble pertinent. Si nous disposions d’images-chocs, de vidéos, de bandes-sons montrant jusqu’à quel paroxysme ces violences, ces brutalités, et – j’ose le mot – ces atrocités, sont aujourd’hui cautionnées par l’institution scolaire, les choses en seraient facilitées. Le grand public ne pourrait y rester insensible.
Oui, il faudrait – entre autres – un David DUFRESNE (5) pour porter ce combat. Un homme, une femme, qui puisse par un recensement méthodique, ou toute autre méthode novatrice, changer les choses.
François RUFFIN mène déjà de nombreuses batailles. Et le milieu enseignant, comme le milieu de l’Education nationale, sont des mondes bien particuliers. Des milieux qu’il vaut mieux connaître « de l’intérieur » si on veut un peu en parler, et en parler de façon qui puisse peut-être être fine, pertinente, loin des clichés dont on nous rebat les oreilles. Aussi est-il compréhensible que ce terrain-là n’attire pas plus que cela le député de la première circonscription de la Somme. Et il n’est pas si étonnant qu’à ce jour, l’Ecole de la République n’ait pas encore trouvé « son » David DUFRESNE.

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« Allô @Rue_ de_Grenelle – c’est pour un signalement » ? Ce pourrait être un beau pendant au « @Allô Place_Beauvau – c’est pour un signalement » de David DUFRESNE, deux fois lauréat du Grand Prix du Jury des Assises du Journalisme.
Samuel FRANCOIS anime le site Transparency Education Nationale avec méthode et rigueur. Le défunt Philippe, et ses amies Jeanne et Marie ont pendant des années recensé les suicides, les faits de harcèlement, le mobbing et divers scandales de l’Education nationale – ce qui a fort irrité et plus fortement encore inquiété un petit réseau de pseudo-syndicalistes solidement « implantés » dans le système éducatif (6). Daniel ARNAUD a écrit un ouvrage de référence, d’autres enseignants ont expliqué leurs lourds déboires dans des livres poignants. REMEDIUM a choisi le support de la bande dessinée. Il y a eu Maurice MASCHINO, Paul VILLACH, Guy LANDEL, Roland VEUILLET. Il y a Françoise LIGNIER, Bruno LE COZ, Isabelle LE FOLL-REMOUE, René CHICHE, Gérard LENFANT, les Tableaux noirs, le Comité Jean WILLOT, les Stylos Rouges. Et aussi sur les réseaux sociaux les vaillantes Joëlle, Bérényce, Rebecca, Hipauline, Claire, Catherine, Christine, Katie, Maud, Dominique, Nathalie, Isabelle, Sophie, Nicole, Agnès, Laurence… ; les vaillants Harold, Laurent, Eric, Renaud, Gérard, Vincent, Hervé, Marc, Manu, Hans, Jacques, Olivier, et bien d’autres.

Tous ceux-là ne suffisent pas. Tout cela ne suffit pas, malgré le talent et toute la bonne volonté de ces lanceurs d’alerte. Non, décidément, il aurait fallu l’aura d’un François RUFFIN.
Dites, François, vous ne voulez vraiment pas nous aider ?
Plus d’un million de salariés paupérisés, dans l’Education nationale… des salariés malmenés, ô, si vous saviez ! Si vous pouviez leur donner un petit coup de pouce…

Pierre-André DIONNET

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French leftist La France Insoumise (LFI) party member of Parliament François Ruffin (C) reacts during a session of questions to the government at the National Assembly in Paris on May 28, 2019. (Photo by JACQUES DEMARTHON / AFP)

(1) et (2) Billet du 27 novembre 2020 : https://faitestairecepetitprofbonsang.wordpress.com/2020/11/27/ils-parlent-de-lecole-1-francois-ruffin-lecole-moule-des-cons-sots-mateurs-mais-ne-forme-plus-de-citoyens/

(3) Bulletin 83 de François RUFFIN, #BDR83, de 11’46 à 13’16 :
https://www.youtube.com/watch?v=7_VMb-QpUCs

(4) Article du 27 novembre 2020, Florian DELAFOI, Le Temps : https://www.letemps.ch/opinions/violences-policieres-un-deshonneur-francais

(5) Pour celles et ceux qui ne connaitraient pas le travail de David DUFRESNE : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Dufresne

(6) De hauts dirigeants syndicalistes, planqués et pas des plus honnêtes (euphémisme) ont longtemps relayé des théories saugrenues et franchement malodorantes au sujet du trio Marie, Jeanne et Philippe, qui a créé et animé le site Omerta au Rectorat. Bien sûr, ces prénoms sont des pseudonymes qui protègent ces trois fonctionnaires : il faut être un peu inconscient pour parler de ces sujets tabous sans masquer son identité – j’en sais quelque chose, pour en payer le prix fort depuis 18 années maintenant.
Non, Marie n’est pas une référence à la mère de Jésus.
Non, Jeanne n’est pas une allusion à Jeanne d’Arc.
Non, Philippe n’était ni royaliste, ni pétainiste.
La rectrice de l’académie de Lille, en poste à l’époque, avait une conception toute particulière du respect des droits de « ses » agents ». Elle se nommait… Marie-Jeanne PHILIPPE. Voilà tout, du choix de ces trois pseudonymes.
Et pour le reste… il n’est pas impossible qu’un jour toute la lumière soit faite sur cette affaire de  bidouilles, de magouilles, et de syndicalistes « jaunes », corrompus jusqu’à la moëlle des os, et qu’on reparle – peut-être – de dizaines d’autres affaires effrayantes évoquées à l’époque sur ce site, et censurées depuis, et enterrées maintenant. Il y a là, pour un journaliste d’investigation sérieux, opiniâtre et courageux, une matière qui pourrait s’avérer très riche, stimulante, et particulièrement croustillante. Sous les tapis la poussière… et quelle poussière !

https://omertaaurectorat.wordpress.com/2018/11/26/le-snes-fsu-et-lunsa-snpden-obtiennent-la-fermeture-definitive-du-blog-omerta-au-rectorat/

 

 

 

 

 

 

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