Harcèlement hiérarchique : le grand Déni de l’Education Nationale (39) Une inspectrice de l’Education nationale accusée de détruire des enseignants.

          

           Pour une Inspectrice épinglée par la presse, ce sont des centaines d’autres qui durant toute leur carrière, ont démoli ou démolissent encore les meilleurs enseignants. En toute impunité et sous les applaudissements d’une administration cultivant l’hyper-violence comme mode de gestion « normalisé ».

Secret de polichinelle pour les acteurs de terrain ; mais violences invisibilisées pour le reste de la population de ce pays : presque 68 000 000 de personnes qu’on n’informe pas des enjeux profonds de la casse de l’Ecole publique, alors qu’ils en subissent eux aussi les conséquences. L’Education nationale forme de moins en moins des citoyens car on l’en empêche ; elle moule toujours plus de cons sots mateurs et Hanouna et Tik Tok achèvent le désastre. Moins instruits, moins éduqués, moins à même de penser par eux-mêmes, de tenir compte d’autrui et de bâtir une société dans laquelle il fait bon vivre, nos élèves ne bénéficient plus de l’enseignement de qualité qu’ils méritent. Mais qui s’en soucie ?

                                                                                                                       Pierre-André DIONNET

       

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  Article du 9 novembre 2023, Robin PETER et Raphaël TUAL, Le Journal de l’Orne et Enquêtes d’Actu : https://actu.fr/societe/enquete-une-inspectrice-de-l-education-nationale-accusee-de-detruire-des-enseignants_60298568.html

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Laurence Brillaud (à droite), Inspectrice de l’Éducation nationale, dans une école de Chambois (Gouffern-en-Auge), en septembre 2019. (©Journal de l’Orne)

Enquête Une inspectrice de l’Éducation nationale accusée de « détruire » des enseignants

Laurence Brillaud, IEN en Normandie, est accusée d’être responsable d’un « mal-être généralisé » chez des enseignants. Plusieurs témoignages et documents étayent ces allégations.

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Des parents d’élèves et des enseignants de la région d’Argentan, dans l’Orne (Normandie) accusent Laurence Brillaud, inspectrice de l’Éducation nationale (IEN), d’avoir des « pratiques destructrices ». Son management aurait pour conséquence de générer d’importantes souffrances chez les professeurs des écoles.

Ces assertions ont resurgi au détour d’un courrier destiné à la rectrice de l’académie de Normandie et diffusé sur Facebook. Les parents d’élèves d’Écouché-les-Vallées écrivent qu’« il semblerait que nos enseignants subissent une pression anormale depuis quelques années de la part de leur hiérarchie ». Ils évoquent « un mal-être généralisé de la part des professeurs des écoles ». 

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Des mots qui ont pressé cette cadre de l’Éducation nationale jusqu’à la gendarmerie afin de déposer plainte pour diffamation, en juin 2023, comme l’a révélé le Journal de l’Orne.

Mais à quel « mal-être » les parents d’élèves de l’Orne font-ils référence ? Alors que l’Éducation nationale doit faire face aux harcèlements subis par les élèves, fléau qui gangrène d’innombrables établissements, l’institution serait-elle, concomitamment, responsable de harcèlement vis-à-vis de ses enseignants ?

Nous avons enquêté et retrouvé la trace de plusieurs enseignants de primaire qui témoignent de leur détresse liée au management de cette IEN. A contrario, elle comme sa hiérarchie se murent dans le silence.

« Je me suis transformée en fantôme »

Une ancienne enseignante, que nous appellerons Solène, fait part de son « mal-être lié aux pratiques managériales » de Laurence Brillaud, dans un courrier adressé à la Direction académique des services de l’Éducation nationale (Dasen), en janvier 2020. Les « pratiques destructrices » que cette ex-enseignante dit avoir subies ont été consignées dans le Registre santé sécurité au travail (RSST), le 26 juin 2019.

Par ce courrier, Solène aimerait « comprendre pourquoi l’institution n’a pas pu [la] protéger, n’a pas essayé de trouver les solutions pour améliorer les conditions de travail ».

J’étais une enseignante impliquée et motivée. Maintenant, je suis un fantôme. 

Solène,ancienne enseignante, dans un courrier à la Dasen.

Dans un autre courrier envoyé à l’adjoint au directeur académique, Solène écrit : « Que fallait-il donc pour que la pleine mesure de la situation soit enfin prise ? Un suicide ? […] Beaucoup trop de témoignages de personnels vous sont déjà parvenus avec des conséquences importantes et irréversibles sur leurs vies professionnelles et privées. Il est criminel de ne pas agir […]. »

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Dans une précédente lettre de huit pages, datée de juin 2019, que nous avons consultée, l’enseignante annonce « vouloir mettre un terme » à sa profession : « Depuis trois ans, je suis confrontée à des situations de plus en plus angoissantes et destructrices. […] Je ne suis plus en mesure d’exercer mon métier sereinement dans un climat de confiance et de bienveillance. Je refuse de continuer ainsi. »

Solène reproche à son ancienne IEN une intrusion zélée dans sa pratique d’enseignement en demandant des modifications spatiales de sa classe et une pédagogie « définie par ses soins ».

« Traumatisés », « hantés ou complètement inutiles »

Solène n’est pas la seule à se plaindre des méthodes de cette inspectrice. Dans un mail envoyé à Solène, que nous avons pu consulter, une responsable syndicale assure en juin 2019 que son cas n’est pas « isolé » : « La liste commence à être longue. »

Des propos corroborés par une militante d’un autre syndicat qui nous assure avoir « recueilli une vingtaine de témoignages de collègues en souffrance à cause de cette inspectrice ». En 2021, cette militante syndicale avait déposé un dossier complet à l’inspection de l’Éducation nationale et à la Dasen de l’Orne.

Nous avons eu connaissance du courrier d’une autre enseignante destiné cette fois à l’assistante sociale des personnels, daté de novembre 2019. Il est écrit que de nombreux professeurs « confient être ou avoir été sous pression et ne plus se sentir libres ».

Certains expriment un réel mal-être, d’autres se disent traumatisés, se sentent hantés ou complètement inutiles.

Une professeure
dans un courrier à l’assistante sociale des personnels.

Nous avons contacté plusieurs de ces enseignants en souffrance qui, pour certains, sont suivis par l’action sociale de l’académie de Normandie.

Deux enseignantes nous racontent comment l’inspectrice « n’a eu de cesse depuis son installation, de remettre en cause [leurs] pratiques » et d’imposer « chaque année des commandes plus chargées ». Laurence Brillaud impose des « aménagements dans la classe ». « Elle nous a tout d’abord demandé de réaliser le plan de nos classes et nous a fait constater qu’il y avait de trop nombreuses choses (des tables, des chaises) et qu’il manquait de nombreuses autres choses, comme des coins jeux. »

Comme pour Solène, Laurence Brillaud impose à ces professeures de suivre le document « Agir pour l’école », qui émane du ministère de l’Éducation nationale, notamment pour travailler la phonologie (la science des sons d’une langue). « Il se devait d’être non obligatoire, mais on ne m’a pas vraiment laissé le choix et j’ai dû travailler avec ce document », nous fait part l’une des deux enseignantes. Laurence Brillaud leur aurait imposé diverses expérimentations et formations, en les prenant pour ses « cobayes ».

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« Ça ressemblait à un règlement de compte »

Une autre professeure des écoles avec plusieurs dizaines d’années d’expérience nous fait part d’une « grande souffrance au travail » : « ces multiples injonctions déstabilisent ma pratique », « j’ai le sentiment d’avoir perdu toute liberté pédagogique », « je suis dans l’insatisfaction et j’ai perdu le plaisir d’enseigner, au point que revenir à l’école me paraît insupportable ». Cette enseignante a été arrêtée plusieurs mois.

J’ai perdu le sommeil, je suis épuisée. Je suis submergée, en permanence préoccupée. Cette situation que je ne suis pas la seule à subir, est en train de mettre à mal ma santé et mon équilibre.

Une enseignante.

Une autre enseignante longtemps en arrêt-maladie nous explique que « dès que cette IEN prend une personne en grippe, elle va s’acharner dessus toute l’année ».

Des affirmations confirmées par un autre enseignant qui a eu de la part de cette IEN « un rapport d’inspection destructeur ». « Ça ressemblait à un règlement de compte », nous confie-t-il. Pour lui, aucun doute, ce qu’il a subi pourrait être qualifié de « harcèlement ».

À deux ans de la retraite, elle m’a tellement cassé les pieds que j’ai préféré partir plutôt que de la supporter.

Un professeur des écoles à la retraite.

Il nous rapporte comment l’IEN l’a sommé de revoir sa façon de travailler : « Elle m’a demandé des méthodes pédagogiques délirantes. J’ai appliqué ce qu’elle me demandait au début, puis j’ai laissé tomber. Ses exigences étaient totalement déplacées, comme si elle était déconnectée du réel. »

La gendarmerie sur l’affaire

Les témoignages que nous avons collectés se suivent et se ressemblent : imposition d’une méthode pédagogique, dénigrement en public, convocations, pression maximum et parfois burn-out. « J’ai tout fait remonter à la direction académique. Rien ne s’est passé », peste une enseignante qui préfère que son calvaire ne soit pas relaté dans notre article par peur de représailles.

Vous tapez dans une sacrée fourmilière-là. Des enseignants demandent des mutations pour ne plus avoir cette inspectrice.

Un fonctionnaire de l’Éducation nationale.

Les fonctionnaires qui ont pris la parole pour nous décrire leur réalité font preuve de courage, parce que comme nous le fait remarquer l’un d’eux : « On a été convoqué par l’IEN pour nous dire que les enseignants n’ont pas le droit de parler à la presse. Ce n’est pas que je ne veux pas, mais si je parle, je vais me faire taper sur les doigts. »

En 2020, certains enseignants à bout, confrontés au silence de leur hiérarchie, ont décidé de saisir la justice. Selon nos informations, la gendarmerie d’Argentan a travaillé sur l’affaire Brillaud. La procédure n’a pas pu aboutir faute de témoignages suffisants. Les enseignants « semblent avoir peur des conséquences », note un gendarme dans un document que nous nous sommes procuré.

Un passage remarqué dans le Vaucluse

Lors de notre enquête nous avons découvert qu’avant son arrivée dans l’Orne, cette inspectrice de l’Éducation nationale a laissé un souvenir impérissable dans le Vaucluse.

D’abord en 2013. Quelques jours avant la rentrée, le 30 août, le directeur de l’école du village de Rustrel, Jacques Risso, a été suspendu de ses fonctions de directeur et d’enseignant après que Laurence Brillaud eut monté un dossier contre lui, comme le rapportait alors le journal La Provence.

Il aura fallu pas moins de cinq procès — tous favorables à Jacques Risso — pour que la justice administrative finisse par rétablir définitivement le fonctionnaire dans son honneur, en annulant la décision de la direction académique.

Officiellement, l’Éducation nationale reprochait à l’enseignant d’avoir failli dans la résolution d’un problème de harcèlement entre élèves. Sauf que l’avocat de Jacques Risso, maître Tartanson, affirmait dans La Provence que « c’est bel et bien son blog d’opinion » qui était « l’élément essentiel de la suspension ». « La justice a montré que je n’avais commis aucune faute », se réjouit auprès d’Enquêtes d’actu l’ancien directeur, aujourd’hui à la retraite.

Ce n’est pas la seule affaire qui a marqué ce village du Luberon. Après les attentats de janvier 2015 en France, Laurence Brillaud a appliqué avec zèle une circulaire du ministère de l’Éducation nationale transmise aux directeurs d’établissements dans le cadre du plan Vigipirate. L’inspectrice de l’Éducation nationale de la circonscription d’Apt, qui compte une quarantaine d’écoles dont celle de Rustrel, avait expressément demandé que les élèves utilisent non plus des cartables, mais des sacs plastique transparents pour transporter leurs affaires.

La consigne a été levée au bout de quelques jours, mais a duré suffisamment longtemps pour que l’histoire cocasse fasse le tour de la presse locale, régionale et nationale à l’époque.

À la suite de ces événements, Laurence Brillaud a été appelée dans l’Orne, à 1 000 km du Vaucluse. Jacques Risso, le directeur de l’école de Rustrel, se souvient que « les enseignants l’ont simplement vue disparaître de sa circonscription et à la rentrée, un nouvel inspecteur était là pour la remplacer ».

Contactée, Laurence Brillaud n’a pas daigné nous répondre. L’adjoint au directeur académique en charge du premier degré, Yannick Ruban, nous a fait savoir par mail qu’il n’avait « pas d’éléments à [nous] communiquer ». Joint par téléphone, le directeur académique, Jean-Luc Legrand a déclaré n’avoir « rien à dire sur le sujet ».

Robin Peter (Journal de l’Orne) et Raphaël Tual (Enquêtes d’actu)

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