Viols et pédophilie dans l’Education Nationale (28) Double Omerta à l’Université de Bordeaux-Montaigne.

 

                 

 

       Comment s’additionnent l’Omerta du #metoo et celle du #PasdeVague ? Deux ans et demi plus tard, je peux presque reprendre mot pour mot ce que j’écrivais dans mon précédent billet sur ce thème, le 9 février 2021. Avec une nuance de taille : dans l’académie de Lille, sous l’impulsion volontaire de la Rectrice et de ses « bras droits », des actions louables sont menées pour protéger les victimes et pour mettre un terme à l’impunité des agresseurs ; oui, les choses évoluent dans le bon sens, et on ne peut que s’en féliciter.    

Aujourd’hui c’est à l’Université Bordeaux-Montaigne que se fissure un peu l’Omerta, longtemps après les révélations de l’enseignante, philosophe et chercheuse Barbara STIEGLER, et les signalements concordants d’une dizaine d’étudiantes.           

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        « Il n’est pas étonnant que la parole se libère d’abord dans des universités, des facultés, des grandes écoles, des IEP ( Sciences Po, depuis le 23 janvier dernier (1) ) plutôt que dans des écoles, collèges et lycées.

Il est indéniable – bien que leur administration cultive et s’enfonce dans le déni du réel – il est indéniable, que des affaires de moeurs ont été étouffées et sont encore étouffées en 2021, dans à peu près tous les rectorats, avec la complaisance des personnes-mêmes censées, au sein de l’institution scolaire, faire barrage et constituer des garde-fous contre ces délits et ces crimes.

Pour être chronologiquement le premier lanceur d’alerte à avoir abordé ce sujet, je mesure bien l’ampleur des pressions qui pèsent sur celles et ceux qui voudraient parler. Simplement parler. Je mesure les moyens mis en oeuvre pour tuer socialement, discréditer, écraser et museler les victimes et les rares personnes qui leur viennent en aide. Je mesure bien le progrès de ces dernières années, le chemin parcouru depuis octobre 2017 (l’éclosion de #metoo), et le chemin qui reste à parcourir pour que Messieurs X, Y, Z et autres Zoubinard – parfaitement identifiés par les pontes des rectorats – soient pour les uns tenus de rendre des comptes, et pour les autres empêchés de poursuivre leurs méfaits sur leur lieu de travail. 

 « Victimes, on vous croit », conclut Lina FKH, au terme de son article publié ce jour sur Stalk ! .

Mais croire une femme, victime de ces mêmes crimes ou de ces mêmes délits, survenus, eux, dans une petite structure scolaire isolée, en province… cela demandera encore beaucoup de temps. 

Quant à prendre en compte la parole des victimes de mobbing ou de harcèlement hiérarchique ne comportant pas de dimension sexuelle… cela sera bien plus long encore, ou ne se fera peut-être jamais. » 

                                                                                                                    Pierre-André DIONNET

(1) https://www.20minutes.fr/societe/2972775-20210209-hashtag-sciencesporcs-denonce-viols-agressions-sexuelles-instituts-etudes-politiques

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Ci-dessous, article de Sophie SERHANI et Yann SAINT-SERNIN, Sud Ouest, 20 octobre 2023.

https://www.sudouest.fr/gironde/bordeaux/enquete-des-que-j-ai-parle-le-departement-de-philosophie-a-explose-scandale-metoo-a-l-universite-bordeaux-montaigne-17147709.php

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ENQUÊTE – « Dès que j’ai parlé, le département de philosophie a explosé » : scandale #MeToo à l’université Bordeaux-Montaigne

Par Sophie Serhani et Yann Saint-Sernin
La philosophe Barbara Stiegler accuse un ancien vice-président de l’Université de viol. Plusieurs étudiantes pointent des comportements inappropriés chez ce même enseignant qui conteste ces accusations. La gestion du dossier par l’Université est vivement critiquée

Lettres ouvertes, signalements, plaintes, contre-plaintes… La vague #MeToo n’en finit pas de déferler sur l’Université Bordeaux-Montaigne. Depuis plusieurs mois, le Département de philosophie est secoué par un séisme. Ce vendredi, un ancien directeur de laboratoire, qui était vice-président de l’Université au moment des faits qui lui sont reprochés, devait s’expliquer devant une commission de discipline dépaysée à Toulouse. La philosophe Barbara Stiegler l’accuse de l’avoir violée.

À l’automne 2021, après avoir déposé une main courante (une plainte sera déposée au printemps 2022), la professeure a fait état auprès de la direction de son UFR d’une soirée à son domicile en mai 2020. Cet enseignant se serait jeté sur elle et lui aurait imposé une pénétration digitale. « Nous contestons absolument ces accusations qui ne résultent que d’un flirt entre adultes consentants sans aucun acte sexuel », répond Me François Tosi, l’avocat du professeur qui pointe une « vengeance personnelle ».

Au printemps dernier, le parquet de Bordeaux a classé sans suite l’enquête préliminaire diligentée sur cette affaire. Dans la foulée, Me Emmanuelle Decima, l’une des avocates de la philosophe, a déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile qui devrait logiquement aboutir à la désignation prochaine d’un juge d’instruction. Nul ne sait si l’analyse de ce magistrat sera différente de celle du parquet.

Télescopage

« Nous estimons que des actes d’enquête peuvent être encore réalisés pour connaître la vérité. Pour l’heure, aucune expertise psychologique n’a été menée, ni sur la plaignante ni sur le mis en cause. Il est regrettable que le télescopage entre l’enquête judiciaire et une procédure administrative très inhabituelle ait permis au mis en cause de prendre connaissance de tous les éléments qui lui seraient présentés par les policiers. Peu de témoins ont par ailleurs été entendus », pointe l’avocate.

Les étudiantes se disent sans nouvelles de la procédure initiée par l’Université

Barbara Stiegler s’était en effet confiée à un collègue quelques jours après les faits dénoncés. « Elle m’a raconté la scène au téléphone. Il était clair dans son discours qu’elle n’était pas consentante. Elle en parlait de façon détachée, comme c’est parfois le cas dans ce type de situation. J’ai beaucoup de mal à croire à une manipulation de sa part, cela supposerait qu’elle avait déjà prévu que cette conversation appuierait une plainte qu’elle déposerait plus d’un an plus tard », glisse ce professeur de droit honorablement connu, interrogé par « Sud Ouest ».

« Lorsque l’agression s’est produite, je n’ai pas eu la force d’initier quoique ce soit. Nous sortions du confinement, il s’est passé beaucoup de temps avant que la vie universitaire ne reprenne. Confrontée physiquement et régulièrement à mon agresseur, j’ai pris conscience que je ne pouvais pas taire cette histoire », explique la philosophe.

Interrogations

Quelle que soit l’issue des procédures judiciaires et disciplinaires en cours, la gestion de ce dossier par l’Université suscite de profondes interrogations au sein de l’institution qui a fait de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles un cheval de bataille. A-t-on eu des pudeurs inhabituelles, s’agissant d’un mis en cause réputé puissant et haut placé dans l’organigramme universitaire (et à tout le moins proche du président) ? « On ne peut que remarquer que d’autres affaires ont connu un traitement plus diligent », murmure Marie Duret-Pujol, représentante du syndicat Snesup.

A-t-on eu des pudeurs inhabituelles, s’agissant d’un mis en cause réputé puissant ?

Selon un courrier dont « Sud Ouest » a eu connaissance, le président Lionel Larré a été informé de façon circonstanciée, oralement et par écrit, dès le 15 décembre 2021, par son vice-président lui-même, des accusations portées par Barbara Stiegler. Le signalement au parquet ne sera réalisé par le président que le 16 juin de l’année suivante, alors qu’une demande de protection fonctionnelle venait d’être déposée.

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TÉMOIGNAGES – Une dizaine d’anciennes étudiantes, qui ont fréquenté ce professeur lors de leurs études en philosophie, ont alerté la cellule de veille de l’université Bordeaux Montaigne sur des comportements déplacés et de différentes intensités. L’enseignant conteste ces accusations

L’enseignant sera finalement invité à démissionner de sa vice-présidence. Il faudra encore attendre l’automne 2022 pour qu’une enquête administrative confiée au rectorat soit diligentée et encore plusieurs mois avant que la commission de discipline ne soit saisie.

Les langues se délient

Pourquoi de tels délais alors que par ailleurs, dès début 2022, les langues se déliaient au sein du département où une dizaine d’étudiantes commençaient à faire état de comportements inappropriés de la part du même professeur ? « Le département était à feu et à sang, il y avait les pro et les anti Barbara. Cela a été très violent. Et nous sommes restés seuls avec ça. Nous avons à plusieurs reprises sollicité la présidence sans autre réponse qu’un rappel des textes juridiques nous demandant, en gros, de nous taire », s’agace un prof de philo.

« Dès que j’ai parlé, le département de philosophie a explosé. C’est comme une famille, vous la voyez se déchirer et vous êtes désignée comme la cause du désastre », raconte Barbara Stiegler. « Dans cette affaire, j’ai le sentiment d’avoir été seule. J’ai essuyé une violence institutionnelle, où à chaque étape, me faire entendre a été une épreuve ».

« J’ai le sentiment d’avoir été seule. J’ai essuyé une violence institutionnelle, où à chaque étape, me faire entendre a été une épreuve »

L’Université semble ne s’être considérée administrativement saisie qu’à partir du moment où la cellule Stop violence (destinée à recueillir les signalements) l’était. Barbara Stiegler affirme avoir saisi oralement une de ses membres le 8 mars 2022. Puis par écrit en avril. « Jusqu’en juin, il ne se passe rien ! Vu la gravité des faits dénoncés, même ces trois mois sont incompréhensibles », s’insurge Marie Duret-Pujol.

« La cellule était essentiellement composée de proches de la présidence et je redoutais une entrave à la procédure pénale. Or à quoi a-t-elle servi ? Elle m’a envoyée en psychiatrie, m’a fait remplir des formulaires administratifs, et les signalements des étudiantes semblent avoir été enterrés », tacle Barbara Stiegler.

« Comportement répréhensible »

La réception de signalements d’étudiantes par la cellule à l’automne 2022 va vraisemblablement précipiter la saisine du rectorat. Dans son rapport, rendu quelques mois plus tard, l’administration évacue la thèse d’une vengeance personnelle de la part de Barbara Stiegler, mais, peu armée pour caractériser ou non un viol, elle reste prudente sur ce point. En revanche, elle estime les témoignages suffisamment concordants pour étayer « un comportement déplacé et répréhensible à l’égard d’étudiantes et de collègues constitutifs d’agissements à caractère sexuels et sexistes » de la part du professeur. Ce dernier les conteste âprement. « Toute cette histoire est complètement folle », grince Me Tosi qui a, de son côté, déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse, reprochant notamment à Barbara Stiegler d’avoir « invité » des étudiantes à témoigner contre son client qui a été suspendu à titre conservatoire cette année.

Mais depuis leurs dépositions, les étudiantes se disent sans nouvelles de la procédure initiée par l’Université. « Elles se sont tournées vers nous car aucune information ne leur était donnée. Depuis des mois, nous sollicitons l’Université, car ces femmes ont besoin de savoir quelles suites ont été données à leur action. Mais nous n’avons aucune réponse », relate Annie Carraretto, du Planning familial à Bordeaux.

Les étudiantes oubliées

La saisine de la commission de discipline, une prérogative du président de l’Université, a bien été réalisée le 1er mars 2023. Mais une ultime information s’est répandue comme une traînée de poudre. « Lorsque nous avons été entendus par la commission disciplinaire, nous avons appris qu’elle n’était saisie que du volet concernant Barbara Stiegler et pas sur celui des étudiantes », s’étrangle Me Clémence Radé, l’une des avocates de la philosophe. Un point confirmé par plusieurs témoins entendus ces derniers jours par la commission qui pourrait ainsi n’avoir à statuer que sur le volet le plus fragile du rapport administratif.

Ceci explique-t-il l’étonnant silence de l’Université face aux étudiantes ? S’agit-il d’une erreur de plume dans la rédaction de la saisine ? A-t-on voulu ne saisir la commission que sur le volet où elle aurait le plus de mal à se prononcer ?

« On sait que dans ce type de dossier, les femmes qui ont le plus de mal à se faire entendre sont soit celles qui paraissent les plus vulnérables soit celles qui paraissent les plus fortes. Il est à craindre que cette affaire illustre les deux côtés du spectre », soupire un professeur bordelais.

Sollicité à plusieurs reprises, Lionel Larré, le président de l’Université, n’a pas souhaité faire de déclaration « afin de ne pas perturber la procédure en cours », assurant qu’il livrerait ses explications une fois celle-ci achevée.  

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Ci-dessus, article de Sophie SERHANI et Yann SAINT-SERNIN, Sud Ouest, 20 octobre 2023.

https://www.sudouest.fr/gironde/bordeaux/enquete-des-que-j-ai-parle-le-departement-de-philosophie-a-explose-scandale-metoo-a-l-universite-bordeaux-montaigne-17147709.php

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